Banquets des années 1990

 

1990 : Le discours de Marie Hélène Bressolette-Roret

1991 : Le discours de François Bernard

1992 : Le discours de Serge Douceret

1996 : Le discours de Bernard Guesnier

1997 : Le discours de Claudine Deschamps

1997 – Discours de Claudine DESCHAMPS

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1996 – Discours de Bernard GUESNIER

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1992 – Discours de Serge DOUCERET

La présidence du banquet du 4 juillet 1992 aux « Dryades » a été assurée par le Général de Division Serge DOUCERET, comme annoncé dans le précédent bulletin d’hiver.
Elève au collège de La Châtre de 1942 à 1949, bac philo, celui-ci rappelons le a réussi une brillante carrière essentiellement tournée vers la direction et la formation des personnels et vers les relations publiques et internationales (bulletin hiver 91 et été 92).
En quelques phrases, le Président de l’Amicale Jean-Louis Boncoeur a su présenter celui-ci, en termes élogieux avant de lui donner la parole.

 


Je mesure tout l’honneur que m’a fait le Conseil d’Administration, sur l’aimable proposition de notre président, Jean-Louis BONCOEUR, de me demander de présider cette brillante Assemblée d’Anciens du Collège. Bien que je ne pense pas mériter cet honneur plus qu’un autre d’entre vous, je suis sensible à cette marque d’amitié et de confiance et vous en remercie.

Comme je l’ai raconté dans le dernier bulletin, le hasard a beaucoup favorisé ma carrière, et vous, mes camarades de classe, que je remercie d’être venus si nombreux pour me soutenir, savez mieux que d’autres que je n’étais pas le plus brillant d’entre vous.

Souvenez-vous ; j’étais plutôt timide et discret. Mes notes oscillaient entre le 8 et le 12, sans fatigue excessive certes, sans état d’âme aussi – A vrai dire, je m’étais fait une raison et attendais, au milieu de la classe, entre la fière vague des premiers rangs, aux visages attentifs et intelligents, et la traîne des indifférents et rêveurs du fond de la classe.

Comment alors expliquer ma réussite ? Malraux a écrit que l’on n’agit pas sur les hommes par la connaissance, mais par la contrainte, la confiance ou l’amour. Je pense qu’il faut un cocktail de tout cela : la contrainte seule aboutit à la dictature, l’excès de confiance à la déception, l’amour excessif à l’égarement. Mais si l’on se sert de ces trois leviers, avec à la clé un minimum tout de même de connaissances, alors il est possible de guider des hommes et de réussir. Je pense que mes années de collège, et la structure’ de mon caractère m’ont bien préparé à fabriquer ce cocktail.

De fait, quand je revis ce passé scolaire, j’y trouve un mélange d’insouciance et de travail en profondeur quasi inconscient, sous la férule de maîtres sérieux et dévoués, au milieu de camarades qui sont restés des amis fidèles et dans un cadre espace-temps – le Berry au coeur des années terribles qui nous a marqués.

Avec votre accord indulgent, je vais essayer de faire revivre quelques épisodes de ces années, en m’excusant auprès de ceux d’entre-vous plus âgés ou plus jeunes, qui n’ont pas vécu la même période, mais en restant néanmoins persuadé qu’ils retrouveront dans mon propos l’âme du vieux bahut.


1er flash – Mars 1943 en 5ème

Depuis le mois d’Octobre précédent, je suis pensionnaire. Le dortoir sous les combles est bien froid l’hiver et les ablutions bien glaciales. A 11 ans, c’est un peu dur, mais cela contribue à forger le caractère et à construire une solidarité fraternelle, avec les Gaston, Guy, Bertrand et autres Rémy. Dans la cour, on fait des concours de glissades sur la neige tassée … et en sabots, s’il vous plaît !

La classe de 5ème est nombreuse et offre une particularité que je n’avais pas connue en 6ème à Chateauroux : la présence de filles. J’avoue ne pas savoir si, à l’époque – car ceci est maintenant parfaitement banal – cette mixité entraînait une salutaire émulation ou un trouble néfaste à la concentration. et allez savoir ! Peut-être ce trouble était-il sciemment provoqué par Elyane, Annick, Yvonne ou Micheline !

Saluons au passage la mémoire de notre professeur d’Allemand BIRKLE, alias STURM, et de notre professeur de Français « la Jeannette ».

Et puis, bien sûr, coup de chapeau à notre surveillant général, Edouard LEVEQUE. Son autorité naturelle jointe à une grande bonté étaient telles qu’il ne serait venu à personne l’idée de le chahuter. Bien au contraire. Lorsqu’un pion était débordé par le chahut, en salle d’étude, et que le surveillant général venait le remplacer, on entendait une mouche voler. Et si l’un d’entre nous s’avisait de tenter audacieusement un début de bavardage, il voyait le visage de M. LEVEQUE se lever vers lui, avec dans le regard un tel étonnement mêlé de tant de commisération, que le téméraire se sentait immédiatement coupable de lèse-majesté.


2ème Flash – Avril 1944 – en 4ème

La guerre se fait surtout sentir dans les approvisionnements. Heureusement nous avons le droit d’avoir de petits casiers à provisions où le dimanche soir, en rentrant de la journée passée à la maison. J’habitais alors ARDENTES – on rangeait soigneusement les petites victuailles qui devaient faire « les 4 heures » de la semaine : pain, pommes, oeufs, gateaux, fromage.

Le retrait des troupes allemandes à travers la France me fait assister au combat d’ARDENTES, très inégal, entre une forte colonne motorisée et des Résistants peu armés ; je découvre là le visage de la guerre. De même, au Collège, des camarades plus âgés sont entrés dans la Résistance. Un jour, je fus, embauché pour faire le guet : à la nuit tombante, saut du mur au fond de la cour ; conciliabule dans le square George SAND, où je reçus un pistolet avant de partir vers la voie ferrée ; j’étais très fier, bien que ne sachant pas me servir de l’arme, dont je me demande aujourd’hui encore si elle était seulement chargée !

A cette époque, nous avions un professeur réfugié, Monsieur CADEAU, connu pour sa peur viscérale. Notre ami Pierre C avait joué sur cette peur en composition de récitation latine en hurlant les premiers vers de « Tityre tu patulae, recubans sub teguine fagi… » C’est tout ce qu’il savait mais il fut classé premier avec 20/20.

Et puis, il y avait aussi notre professeur de dessin, Edouard LEVEQUE. Je ne brillais pas particulièrement dans ce domaine, et je crois me souvenir que les filles étaient plus douées que les garçons. Ce qui n’était pas pour déplaire à notre professeur qui aimait s’asseoir à côté d’une damoiselle, surtout si de surcroît elle était jolie, pour guider sa malin menue sur le papier Canson. La jalousie qui pouvait alors nous saisir ne durait guère, car nous étions fiers de voir avec quelle maîtrise de son art, notre professeur croquait paysages et portraits, et nous étions conquis par cette sensibilité de l’âme qui sublimait ses dessins et peintures.


3ème Flash – Mai 1945 – en 3ème

La pension est terminée pour moi, car mon père est affecté à la brigade de gendarmerie de La Châtre.

Le 8 Mai, c’est la Paix. Ambiance de fête ; les postes de T.S.F. chantent « Bleu, Blanc, Rouge, avec l’espoir qui nous sourit… » – Et l’on danse et l’on s’intéresse aussi un peu plus aux filles.

Pas tellement dans la classe : il y a bien sûr quelques alliances qui rapprochent tel garçon et telle fille, mais d’une manière générale, les filles de la classe nous trouvaient trop gamins et s’intéressaient aux grands des classes supérieures. Alors, nous les garçons, reportions nos regards vers les classes suivantes et adressions nos poèmes et nos billets doux à Rachel, Raymonde, Claude ou Annie.

Je placerai ici le souvenir de notre Principal, M. BRESSOLETTE, coiffé de son inséparable chapeau, visage grave et austère, qui nous impressionnait tellement par sa dignité, son calme olympien. Il avait certainement à coeur de nous donner la meilleure éducation, nous considérant comme ses enfants et agissant avec grandeur d’âme et générosité ; cela ne l’empêchait pas d’être sévère quand il le fallait. C’est ainsi que ma première punition, annoncée en présence de mes parents, m’est restée en mémoire ; les difficultés d’approvisionnement obligeaient à nous servir très souvent des carottes Vichy, cuites à l’eau ; saturés de ce plat, nous renversions nos assiettes dans du papier journal, fourré ensuite dans nos poches. Surpris en plein délit, je fus puni pour « avoir en temps de disette, gaspillé les bonnes petites carottes de Mme la Principale ». Et pourtant, aujourd’hui encore, je ne peux pas en manger !

Je pense qu’il convient là encore de saluer Edouard LEVEQUE pour son rôle majeur à côté du Principal. Une collaboration étroite basée sur une grande confiance, et sans doute sur une profonde amitié, ont permis à ces deux hommes de diriger le Collège. Je pense qu’il y avait complémentarité entre la sévérité apparente de l’un et la gentillesse ostensible de l’autre, entre la gravité du premier et la bonhommie du second. Et que, pour les deux hommes, il y avait le souci permanent de l’efficacité, de la réussite, dans une ambiance toute particulière faite de juste rigueur et de compréhension, voire d’amour des élèves.


4ème Flash – Juin 46 – en seconde

Les années passent et les classes ont fondu. Tous nos camarades réfugiés sont repartis, pour la plupart vers PARIS. Nous restons, si je puis dire, entre nous, jeunes provinciaux, amoureux de notre Berry, heureux de nous retrouver chaque matin, portant en bandoulière nos livres – le Malet­Isaac, le Chevallier-Audiat, le lourd GAFFIOT – attachés par une ceinture.

Les plaisirs sont simples et sains. Il y a le vélo et quelques courses échevelées entre garçons vers les Pierres Jaumâtres ou Guéret ; ou à vélo avec les filles pour la baignade à l’étang de Rongères, ou les fêtes locales de Neuvy St Sepulcre ou de Ste Sévère – est-ce cette année là qu’y fut tourné le film de Jacques TATI ? Et puis il y a le foot, qui nous rassemble chaque Dimanche et où l’on donne tout ce que l’on a dans le ventre.

Il me plaît d’évoquer ici la mémoire de deux professeurs très différents. L’un, M. LAMIDEY, notre professeur de maths, se donnait un mal fou et fut terriblement chahuté. Il faut dire qu’il nous tournait toujours le dos, remplissant le tableau noir de formules et d’équations, effaçant de la main gauche le haut du tableau pendant que sa main droite finissait de le remplir en bas. L’autre, Mme FOUCHET, notre professeur de gymnastique, qui n’eut pas beaucoup de succès avec les garçons dans ses séances de danse rythmique, mais qui sût nous inculquer le goût du sport, de l’effort ; je pense qu’elle contribua grandement à développer en moi cet amour de la dépense physique que je pus par la suite laisser s’épanouir.

Et puis il y avait…. Edouard LEVEQUE, que j’appellerai désormais de son nom d’auteur et d’acteur : Jean-Louis BONCOEUR. Car je veux évoquer ici l’artiste comédien. Il sut créer et développer en nous l’amour du théâtre, de la scène, en mettant chaque année sur pied la troupe des « gays escholiers » ; cette année là nous donnâmes l’Avare. Je n’étais qu’un bien modeste compagnon de scène, mais je découvris à l’occasion des répétitions, tout le talent de J.B. BONOEUR : de metteur en scène, de maquilleur, d’acteur… Avec quelle patience il sut nous guider ; avec quelle conviction il sut nous entraîner ; avec quelle foi il sut nous convaincre de donner le meilleur de nous mêmes, de vivre intensément notre personnage. Molière pouvait être fier de son disciple. Moi j’étais fier de mon Maître.


Dernier Flash – Juillet 47 – en 1ère

L‘année du bac, du premier bac, comme on disait alors. Nos professeurs redoublent d’ardeur et de sollicitude pour nous conduire au succès. N’est-ce pas M. COCQ, qui guidiez notre connaissance de l’histoire et de la géopolitique avec tant de soin ; vous m’avez fait aimer ces matières et avez sans doute contribué à ma vocation : désir de connaître le monde et souhait de défendre les valeurs de la civilisation Française.

Cette année-là, allez savoir pourquoi, le torchon se mit à brûler entre garçons et filles de la classe. Ceci incitera notre brillant professeur de lettres, M. VAPPEREAU à rédiger un catéchisme du rhétoricien et de la rhétoricienne où se succédaient les questions-réponses du genre : « que doit faire un rhétoricien quand il rencontre une rhétoricienne pour la première fois de la journée ? – R : il doit s’avancer vers elle, le regard avenant, le sourire aux lèvres et la main tendue… »etc…

Ce même professeur nous avait concocté, pour le repas du soir du bac, un chant dont vous vous souvenez sans doute (Air des Allobroges) :

Rhétos toujours vaillants, l’honneur de ce collège, Nous sommes les trapus, les durs, les surpuissants, Nous marrions avec art l’astuce et la galège Et le pot de vin blanc (bis) Nous nous foutons de l’opinion publique, Des philistins, tous cocus, tous jaloux, Car nous vivons dans un monde magique Au bord duquel, au bord duquel, Il n’est place que pour nous.

Et après avoir bien chanté et bien bu, nous allâmes prendre un bain de minuit au lieu dit « Les Ribattes ».

Deux autres souvenirs trouvent ici leur place. Le premier est la distribution des prix. Avec tout le décorum qui s’imposait – robes et toques pour les professeurs – dans la salle du cinéma de la ville, en présence des parents, commençait la fête des élites – On voyait alors Guy monter 10 fois à la tribune pour cueillir les lauriers des prix d’excellence ; Gaston, Jean et quelques autres ténors ramassaient au passage quelques prix d’honneur.

Le reste de la classe était heureux d’être appelé une fois pour quelqu’ accessit. Ces distributions de prix montraient que l’on ne croyait pas tout à fait à l’égal respect des intelligences et auraient pu être remplacées par des fêtes ou les mérites de chacun auraient été célébrés dans la joie et la bonne humeur.

Second souvenir, totalement différend mais profond. L’amitié, qui au travers des enfants, s’était nouée entre les parents. Je pense en particulier aux parents de mon ami Jean. J’aimais replonger mes racines bretonnes paysannes chez eux, inscrivant ainsi dans ma mémoire de beaux souvenirs : de fenaison, de vendanges, qui ont certes marqué une époque dure pour les travailleurs, mais aussi des instants purs, exemplaires d’une vie saine et bien remplie.

Vie qu’a su rendre dans ses livres, ses contes, ses poèmes, notre ami J.L. BONCOEUR. Nous voyons enfin apparaître dans mes propos ce qui, à mes yeux, constitue le couronnement de la carrière d’éducateur de J.L. BONCOEUR. Il fut, il est, il restera le pâtre du Berry – du latin pastor, le berger Mais il ne s’agit pas d’un petit berger, d’un pastoureau ; il s’agit d’un grand pasteur qui a su revivifier, redonner âme à la mémoire du Berry. Nous sommes là au sacre d’une oeuvre humaine qui a su faire revivre le terroir, ses traditions, ses us et coutumes ; qui a su faire revivre le passé, notre passé, notre civilisation paysanne, notre vieille terre de France, si riche en douces légendes. Et qui a su le faire avec un talent, parfois mélancolique, parfois poignant, parfois joyeux, parfois naïf, mais toujours tendre et fervent.

Puisse cette tâche d’éducateur de nos mémoires se traduire pour J.L. BONCOEUR par un maintien dans la mémoire collective des hommes, dans la postérité.

J’arrête là mon long éphéméride.

De l’enseignement reçu au Collège, je dirais simplement que nous avons eu droit à l’époque à un enseignement traditionnel, à dominante littéraire et humaniste, exigeant de nous discipline, effort, perfectionnement de la mémoire. Cet enseignement fit de moi un homme ouvert, prêt me battre, prêt à prouver lors des compétitions que j’avais acquis de s solides connaissances de base. A contrario, mon point faible fut toujours une difficulté dans la dialectique ; le jeu de la parole n’était pas autrefois au programme. Ceci montre combien sont importants, marquantes de façon indélébile, l’éducation et la formation reçues dans nos lycées et collèges. Je souhaite que nos professeurs actuels restent bien convaincus et fiers de l’importance de leur mission.

Et je me tourne vers vous pour terminer, cher Jean-Louis BONCOEUR. J’ai montré sommairement tout le long de mon discours combien vous avez marqué votre génération par les différentes facettes de votre personnalité. Vous êtes depuis longtemps une vedette de la radio, de la télévision, lauréat de nombreux prix, officier d’académie, titulaire des palmes académiques, de l’ordre national du mérite, et j’en oublie sans doute. Je ne sais par quelle puissante intuition vous avez choisi de vous appeler BONCOEUR. Mais ce pseudonyme me rappelle ces paroles de Jean COCTEAU :
« Il n’y a que deux manières de gagner la partie : jouer coeur ou tricher. Tricher est difficile et le tricheur est toujours pris. Jouer coeur est simple : il faut en avoir, voilà tout ». Vous, vous avez su regarder vos cartes, et avez vu que vous étiez avant tout un homme de coeur ; ce qui veut dire que vous avez su écouter, comprendre, aimer, donner l’exemple, rayonner, être généreux, enthousiaste. Vous êtes largement quitte de votre devoir civique, en ayant rendu au Pays plus que vous n’en avez reçu. Soyez en chaleureusement remercié.

Je comprends votre décision de vous décharger de certaines responsabilités. Vous n’avez pas besoin de présidences actives pour conserver la gratitude, le respect et l’affection de ceux qui vous ont connu et apprécié. Vous avez beaucoup donné ; pensez maintenant à vous il nous appartient de vous donner à notre tour, aide, réconfort et soutien moral. A vous, et aussi à Marie, votre compagne, que je ne saurais oublier et à qui je dis toute ma profonde gratitude pour le dévouement toujours soutenu et souriant qu’elle a manifesté à nos soldats blessés dans les hôpitaux militaires.

De toute façons, vous restez notre Président d’Honneur. Votre ami étoilé aimerait pour sa part pouvoir vous adouber Connétable de la Vallée Noire ou vous remettre le bâton à 7 étoiles de Maréchal du Berry. A défaut, je vous dis simplement mon immense fierté de vous avoir eu comme Maître, un maître de grande sagesse et de très bon coeur.

Serge Douceret

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1991- Discours de Mr François BERNARD

C‘est une heureuse tradition que la vôtre selon laquelle les discours sont prononcés avant le repas. C’est une assurance pour l’orateur qui y gagne d’être mieux écouté ; mais c’est aussi un avantage pour vous, car est-il une façon plus courtoise et plus discrète de l’inciter à écouter son propos ?

Il me faut tout d’abord présenter les regrets et les excuses de mon frère Jean-René … Vous savez avec quel plaisir et quelle spontanéité il avait accepté de présider votre banquet.

Les devoirs de sa charge d’ambassadeur des Pays-Bas l’ont empêché d’être parmi vous aujourd’hui. Il m’a demandé de vous transmettre son message d’amicale fidélité et de son profond attachement.

Je dois aussi m’acquitter d’une dette de gratitude envers vous tous qui m’accueillez si gentiment alors que je ne le mérite guère puisque j’ai été si longtemps absent de votre association mais, croyez-le bien, maintenant que je suis de retour, vous me verrez souvent !

Ma reconnaissance se porte tout particulièrement vers votre Président, M. Jean-Louis Boncoeur. Sa renommée et son commerce avec les Esprits m’impressionnent quelque peu ; il a su me rassurer en me faisant amicalement prendre conscience que j’étais des vôtres … Je serais également bien ingrat si je ne mentionnais M. Guy Fouchet il a été le véritable inventeur – au sens du Code Civil – de la famille Bernard, qu’il a découverte au sein de la jungle parisienne, et rendue savante par l’envoi d’une abondante documentation sur le Collège de La Châtre.

Mon respect s’est accru pour cette vénérable institution puisque j’ai ainsi appris qu’elle avait été fondée à la fin du XVème siècle et que la liste des régents en était reconstituée jusqu’en 1511.

Cette science nouvelle m’a rendu modeste en me montrant que, quelle que soit l’ancienneté de mes souvenirs, ils ne pourront avoir un caractère historique et se limiteront à l’anecdote.

Permettez-moi une réflexion critique : elle concerne la présentation biographique que vous avez donnée de moi dans votre dernier bulletin de liaison : « Elève au Collège de La Châtre au début des années 40 » … Elle dégage une impression vaguement touristique qui ne correspond pas à la réalité puis qu’arrivés pour la rentrée de 1939, nous n’avons quitté le Collège qu’en 1945, avec, il est vrai, une interruption d’un an et demi, où, sur les conseils de l’archiprêtre de La Châtre, le Chanoine Aubailly – dont je salue la mémoire avec un affectueux respect, – nous avons, mon frère et moi, été élèves au Collège de Lourdoueix-Saint-Michel.

Vous connaissez la phrase célèbre où Péguy distingue les « périodes », simples tranches de temps, et les « époques », marquées par des évènements.
Les moments passés au Collège de La Châtre se sont certainement inscrits, pour moi, dans une époque. D’abord parce que c’étaient mes années d’enfance, et chacun sait que ces années là comptent double ou triple, mais aussi parce que c’étaient les années de guerre.

De ma scolarité, dans ces temps dramatiques, je conserve dans l’ensemble, une impression de sérénité. La guerre ne pénétrait pas au Collège, elle s’arrêtait devant ses murs hélas aujourd’hui détruits… ma mémoire a cependant enregistré trois clichés photographiques de la débâcle. Je revois d’abord Madame Le Cann écrivant au tableau noir, vers le 20 mai 1940, un ordre du jour du Général Blanchard, commandant les armées du Nord, et qui expliquait, assez brièvement, que la situation était moins grave qu’il ne semblait… La seconde image est celle que je conserve de la fenêtre du 61 rue Venôse, où j’observais le lamentable défilé de l’exode ; et, la troisième est le séjour dans la cave où nous nous étions réfugiés pendant le bombardement de La Châtre – le 23 juin, je crois – que tout le monde avait attribué aux Italiens, mais dont le livre savant de M. Gaultier révèle qu’il était peut-être allemand, mais qu’il fut en tout cas meurtrier puisque, toujours d’après la même source, il causa une dizaine de morts…

Et cependant l’histoire n’entrait pas dans notre classe élémentaire où nous avons vécu des années préservées. Peut-être parce que nous étions les « petits » et que nous ignorions tout, jusqu’au petit scandale que je n’ai appris que le mois dernier, à la lecture de votre bulletin, de ce principal, crevant des petits trous dans les portes pour espionner les professeurs.

Cette atmosphère studieuse et pacifique, nous la devions surtout, nous les petits, à l’admirable maître que fut Madame Le Cann.

Elle nous a donné de ces années tragiques, une magnifique leçon de ce que, avec mon vocabulaire d’adulte, j’appelerai la continuité et la neutralité du service public de l’enseignement.

Alors que la douceureuse et insistante doctrine officielle cherchait à endoctriner jusqu’aux enfants, j’atteste que pas un mot de politique n’a été prononcé dans les petites classes.

Et dans des conditions incroyablement difficiles, où il fallait délivrer un enseignement simultané à cinq classes, où les enfants de 11ème dessinaient des feuilles de marronnier tandis que ceux de 10ème prenaient une leçon de lecture, que ceux de 9ème repassaient leur géographie,, ceux de 8ème méditaient sur une explication de texte, et ceux de 7ème mettaient la dernière main à un exercice de calcul, la discipline consentie régnait et nous acquiérions tous des bases solides.

Je pense qu’aujourd’hui encore pas un des élèves de madame Le Cann ne fait de fautes d’orthographe ou ne confond Philippe-Auguste et Philippe Le Bel !

Permettez-moi de terminer sur une note personnelle.

J’ai conscience de représenter ici beaucoup plus que moi-même, et de parler au nom de ces centaines de réfugiés que La Châtre a accueillis avec tant de générosité…

C’est une tradition, et je n’oublie pas que, déjà en 1914, fuyant les Ardennes envahies, ma mère et ma tante ont fait leurs études au Collège de Filles … Comme il y a des Auvergnats, des Bretons, ou des Alsaciens de Paris, il y a maintenant, grâce à vous, des Parisiens du Berry.

Comment oublier cet exemple de fraternité que nous ont donné nos maîtres du Collège de La Châtre, que vos pères et vous même avez su entretenir, et qui nous ont laissé au coeur deux sentiments durables l’amour du Berry et les respect de l’école publique ?

François Bernard

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1990 – Discours de M-H BRESSOLETTE-RORET

Avant de prononcer le discours d’usage, je voudrais dire quelques mots.
La semaine dernière, PIERRE MASSET nous a quittés.
PIERRE était le frère cadet de JACQUES.
Avec Jacques et quelques autres pour la plupart présents içi ce soir, nous nous sommes connus en maternelle , nous nous sommes quittés en Terminale.
PIERRE a vécu avec nous ces années insouciantes et heureuses.
Aussi, c’est en pensant très fortement à BABOU, notre ami, que je vais m’adresser maintenant à vous tous.

 


Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs, Chers Amis,

Lorsque, début Octobre 1989, je reçus une lettre de Jean-Louis BONCOEUR, ma stupéfaction fut immense. En effet, vous veniez m’offrir, Cher Jean-Louis, en votre nom et au nom du Bureau, la présidence du dîner amical des ANCIENS ELEVES DU COLLEGE ET DU LYCEE GEORGE SAND, le 7 Juillet 1990.

Mes premières réactions furent, je l’avoue, la panique face à cette désignation, et la crainte de devoir rédiger un discours qui ne soit pas trop ennuyeux, par un côté répétitif de souvenirs communs, égrénés d’année en année. Puis, les mois passant, je m’habituais à cette idée, très consciente de l’honneur qui m’était fait. Peu de femmes ont eu, en effet, le plaisir de présider ce dîner et pourtant nous sommes au pays de GEORGE SAND.

Je me suis donc plongée dans mes souvenirs, et j’ai évoqué mon passé au collège et, ce faisant, j’ai revécu, grâce à l’écriture de ce discours, mon enfance et mon adolescence indissociables de la présence de mon Père, Monsieur BRESSOLETTE
Mon Père nous a quittés il y a 25 ans cette année, mais il a, je crois, pendant près d’un quart de siècle, marqué grandement le collège de LA CHATRE et ses Anciens Elèves.
En parlant avec Maman et aussi avec Messieurs COQ, ancien Professeur d’Histoire, et COLLE, ancien Professeur d’anglais, j’ai fait revivre toute une période que je vais essayer d’évoquer devant vous.

Mon premier souvenir de LA CHATRE est celui d’une petite fille de 4 ans, débarquant sur le quai de la gare au moment de la rentrée d’Octobre 1941. Je me revois montant cette avenue, qui me parut interminable, jusqu’à la porte de la cour arrière du collège. Je ne savais pas encore que je ferai ce chemin des milliers de fois par la suite, d’abord, pour accompagner mes parents, et notre chien Atome, au cours de la promenade vespérale, après la rentrée de 14 heures et avant la cloche de 15 heures, vers le chemin du portail, puis, tout au long de mes études clermontoises.

Je ne savais pas encore qu’à chaque congé, je passerai par cette gare, cette avenue, cette cour, où m’attendrait, tout au fond, dans son minuscule bureau, le Principal, avec sa stricte silhouette, son visage grave au masque d’austérité, pour mieux cacher sa grande sensibilité.

Mon Père en effet appartenait à cette génération où l’on ne montrait pas ses sentiments. Il était doté d’une tendresse bourrue et vigilante, tout autant pour sa fille que pour tous ses élèves, qu’il considérait aussi comme ses enfants. L’autre souvenir, en ce premier automne à LA CHATRE, fut ma découverte du vieil hôtel de VILLAINES, effrayant pour une petite fille,de 4 ans, par sa sévère grisaille, son dépouillement, et surtout son vide. Le collège agonisait : dans les bureaux, aucun dossier, à l’internat, huit pensionnaires.

Pour mes Parents, la prise en charge de ce nouveau poste dans cette période si noire de la guerre, fut une épreuve adoucie par l’accueil chaleureux de Madame et Monsieur COLLE, dont la sollicitude pour ma famille ne s’est jamais démentie. Epreuve également adoucie par la collaboration et l’amitié de celui qui devint le disciple et l’ami fidèle, Vous, Jean-Louis BONCOEUR.

Alors commencèrent pour mon Père d’innombrables et d’harassantes journées. Tôt le matin, tard le soir, la lampe brillait dans l’étroit et sombre bureau que nous tous, ceux des années 40 à 60, avons bien connu. Mon Père livrait un combat quotidien pour que le Collège survive et remplisse sa mission d’éducation.

Cet acharnement au travail, qu’il sut transmettre à des générations d’élèves, des rapports de confiante amitié avec un corps professoral remarquable d’efficacité et d’entente, des relations compréhensives avec les familles, transformèrent peu à peu le Collège qui décupla ses effectifs.
Notre vie familiale fut toujours totalement intriquée dans l’activité du Collège. Je me suis élevée dans la grande cuisine où ma Mère officiait, et ma distraction favorite consistait à guetter le passage des pensionnaires, entrant ou sortant du réfectoire, et à profiter aussi des oeillades ou des sourires de mes premiers amoureux.

J’ai toujours été habituée à partager mes Parents avec les élèves qui, au fil des années, devenaient de plus en plus nombreux. Ainsi, même les dimanches, la vie du Collège continuait et je pense que beaucoup à LA CHATRE se souviennent du défilé des élèves se rendant, en rang, à la messe dominicale, accompagnés par le Principal, coiffé de son inséparable chapeau, qu’il soulevait dans un geste particulier d’amitié, devant chaque connaissance.

Grand Chrétien, et très proche de l’Abbé BALLEREAU, Aumônier du Collège, que je remercie ici d’avoir assisté mon Père dans ses derniers moments, il permit la pratique religieuse aux élèves qui le désiraient, sans pour cela choquer ou se heurter avec un corps professoral qui pouvait parfois être agnostique.
Mon Père faisait aussi preuve d’une indépendance d’esprit, qui fut un des traits de son caractère.
Je me souviens également avec émotion du passage au Collège de plusieurs jeunes Israélites, hébergés et cachés dans les combles de l’Internat, et qui, malgré ces circonstances dramatiques, réussissaient à continuer leurs études et à obtenir, pour la plupart, leur baccalauréat.

Un autre trait de caractère de mon Père, fut son attachement à la place de la Femme dans la Société. Etant sa fille, je suis à même de savoir combien lui importait l’éducation des jeunes filles, et combien il tenait à la stricte égalité de leurs chances devant les diplômes.
Je me souviens tout particulièrement du discours qu’il prononça le 4 Juillet 1954, pour la Commémoration Officielle du 150ème anniversaire de la naissance de GEORGE SAND. Le Collège adoptait officiellement la dénomination de Collège GEORGE SAND, devant un parterre de personnalités dont le Ministre de l’Education Nationale et, Madame Aurore SAND, présence émouvante, frêle silhouette drapée dans une grande cape sombre.

Voici ce que disait mon Père :
GEORGE SAND s’est attendrie sur l’état d’infériorité où les femmes de son époque étaient plongées.
Aussi, a-t-elle lutté de toutes ses forces pour faire cesser cette infériorité. Elle a été la voix de la femme, en un temps où la femme se taisait, elle n’a cessé de proclamer le droit pour elle à l’instruction et à l’éducation.

Et il continuait :
Vos voeux sont réalisés, GEORGE SAND. Les jeunes filles de notre époque et de notre cité, ne restent plus plongées dans leur ignorance. Elles sont admises dans notre établissement, sur un pied d’égalité avec les garçons. Elles rivalisent de zèle avec ces derniers, et entretiennent dans notre Collège une saine émulation. Dans cette lutte courtoise, elles se montrent les rivales, parfois heureuses, de leurs camarades garçons. Ici, l’égalité des sexes qu’a revendiquée GEORGE SAND est un dogme, qui n’a plus d’hérétiques.

Combien ces paroles sont d’actualité, en 1990, où l’Etat est contraint de légiférer pour imposer l’égalité des femmes et des hommes devant le travail et le salaire.
Les Professeurs femmes furent toujours nombreuses et appréciées au Collège.
Je me souviens avec tendresse de :

  • Madame LE CANN, qui sut guider tant de jeunes enfants à travers les pièges de l’orthographe, les mystères des règles de grammaire, et les chausse-trappes des tables de multiplication.
  • Madame COQ, qui fit découvrir aux jeunes filles de ma génération, l’art de la couture, la finesse du point de croix, la difficulté du jacquard ou des smocks.
  • Mademoiselle CENDRON, qui s’évertuait à éveiller nos dons musicaux.
  • Madame ROLLAND, qui nous impressionnait par ses toilettes, et nous initiait aux secrets de la physique et de la chimie.
  • Madame FOUCHET, qui exerça une grande influence auprès des adolescentes de mon époque, car tout au long de nos études, elle sut nous intéresser aux activités physiques, et ainsi, soit par la pratique d’un sport d’équipe, soit en disputant des compétitions, préparer notre entrée dans l’âge adulte en nous donnant l’envie de participer, le goût de l’effort et de la discipline, la volonté de vaincre.

Je ne voudrais pas clore cette énumération féminine sans parler du rôle de ma chère Maman, soutien discret des moments difficiles, et collaboratrice efficace à la tête de l’Internat, où elle essaya, malgré les difficultés de l’époque, de donner satisfaction à des générations de pensionnaires.
L’autorité du Principal était incontestée, et sa sévérité pouvait, à l’occasion, se manifester lorsqu’il sentait que le travail se relâchait ou que nous perdions le goût de l’effort. Il me reste ainsi un souvenir particulièrement cuisant.

J’étais, je crois, en classe de 3ème, et prise soudain du démon de l’agitation, je perturbais à tel point la classe de mathématiques, que je récoltais 3 heures de colle, pour la première fois de ma vie.
C’est ainsi que le jeudi suivant, je retrouvais les autres collés avec les pensionnaires, à l’étude.
J’attendais avec grande inquiétude l’arrivée du Principal, qui venait faire l’appel des colles. Il fit un simple commentaire à l’appel de mon nom, de cette voix rocailleuse de paysan auvergnat.
Melle BRESSOLETTE, faites en sorte que je ne vous y reprenne pas.
Soulagement de ma part, cela ne s’était pas trop mal passé ….

Mais, catastrophe, durant le cours de maths suivant, rechahut, redistribution d’heures de colle, auxquelles, malgré toutes mes supplications, je n’échappais pas. Je revois encore la surprise du Surveillant Général, me remettant le billet de retenue, pour la deuxième fois consécutive, et me disant :  » Attention à la réaction de Papa. « 
Mon effroi fut alors indescriptible, car j’avais une grande affection pour Jean-Louis BONCOEUR, qui savait si bien, avec sa gentillesse bonhomme, faire tampon entre la sévérité du Père et les frasques légères de la fille.
Le jeudi matin, à nouveau, je repris, la mort dans l’âme, le chemin de l’étude. Même cérémonial, arrivée du Principal, appel des collés, surprise …. mon nom n’y figure pas.
Je ne perdais rien pour attendre !
En effet, quand chacun eut subi son sermon, j’entends  » Melle BRESSOLETTE, venez-ici. « 
Je me lève, je m’approche, et je reçois les deux plus belles gifles de toute mon existence. Monsieur le Principal quitte la salle, sans aucun commentaire.
Ma honte fut immense, et je ressentis alors comme une énorme injustice d’être la fille du « Patron », car jamais un autre élève n’aurait eu à subir un tel affront.

Mais plus jamais je ne fus collée, et si je lui en ai voulu à l’époque, j’ai compris par la suite la valeur que mon Père apportait à l’exemple. J’ai tenté de retenir la leçon tout au long de ma vie estudiantine, puis dans ma vie professionnelle, et dans l’éducation de Nathalie et Elisabeth, mes deux filles.

Les fins d’année scolaire étaient souvent le prétexte de plaisanteries que je vivais, si on peut dire, de l’intérieur. En voici deux, dont je me souviens particulièrement :

Il était de coutume que les élèves qui quittaient le Collège, après avoir passé le baccalauréat, se réunissent pour un repas d’adieu, qui se prolongeait tard dans la nuit. Or, cette année là, un certain jeune Professeur, futur agrégé, promis à une belle carrière universitaire, s’était joint aux élèves. Le repas était excellent, le vin coulait à flot, l’ambiance devenait de plus en plus chaleureuse, quand soudain, jaillit l’idée d’un bon tour :
« Allons sonner la cloche ! Cette fameuse cloche qui avait rythmé la vie de tout potache, pendant les longues années de scolarité ! »
Ainsi, voici la joyeuse bande, Professeur en tête, qui escalade les grilles de la cour d’honneur, fermées à double tour, et se suspend à la cloche qui se met à battre à toute volée, réveillant tous les bons bourgeois de la rue Nationale, jusqu’à ce que mon Père, jaillissant à la fenêtre de l’appartement située au niveau de la cloche, mette le hola d’une voix de stentor, dispersant ainsi les gais lurons qui, tel un vol de moineaux, disparaissent dans l’obscurité du quartier.
Cette farce amusante et sans gravité, faillit avoir une suite plus ennuyeuse. En effet, forts de leur premier exploit, les jeunes bacheliers, toujours accompagnés de leur Professeur, décidèrent d’aller visite le dortoir de jeunes. filles de la pension SAINTE GENEVIEVE.
La Gendarmerie fut appelée, et je crois me souvenir que les jours suivants, mon Père dut faire usage de toute sa diplomatie pour que plainte ne soit pas déposée.
En tout cas, les années suivantes, le banquet fut interdit et par mesure de précaution, la cloche remontée au niveau du premier étage, à la veille des vacances ou au soir des résultats du baccalauréat.

L’autre souvenir de fin d’année animée, concerne l’Internat.
Notre appartement se situait au premier étage de l’hôtel de VILLAINES, sur la cour d’Honneur, et les dortoirs se trouvaient au deuxième étage, c’est-à-dire juste au-dessus de nos chambres à coucher.
De ce fait, aucun chahut n’échappait à l’oreille fine et vigilante du Principal. Ce soir-là, les internes avaient décidé de célébrer dignement la perspective des vacances et des succès scolaires. Aussi, avaient-ils organisé une fête au dortoir, soirée tellement bien arrosée que les potaches, oubliant qui dormait à l’étage inférieur, se mirent à chanter à tue-tête des chansons de salle de garde.
Réveil brutal à notre niveau, le Principal, à pas feutrés, gagne le dortoir où sa vue fit l’effet d’une douche froide, chacun regagnant au plus vite son lit, sauf un tout jeune élève de classe primaire, le benjamin du dortoir, qui se présente candidement devant mon Père, et avec un grand sérieux dans son langage de campagnard creusois, lui dit, avec une conviction feinte :
« Non, Monsieur le Principal, c’est pas du vin c’est de l’iau ! »
Mon Père riait encore en regagnant ses appartements.

Un de mes amusements, lorsque j’étais enfant, était d’assister, du bureau de mon Père, au déroulement des récréations dans la cour aux sycomores, ainsi que l’appelait Monsieur GEDEON.
Je me souviens tout particulièrement de combats à coup de boules de neige, se livrant entre deux camps de collégiens. Les Professeurs, contraints de traverser la cour afin de rejoindre les classes situées au fond, n’échappaient pas aux projectiles qui les frappaient, les potaches se défoulant ainsi dans une ambiance joyeuse, peu propice à une punition collective. Tous mes camarades de cette époque se souviendront avec moi, qu’il était interdit de fumer. Chacun, bien entendu, brillait du désir d’enfreindre cet interdit, et le grand plaisir était d’aller fumer dans les w.c. où, là au moins, on était à l’abri des regards indiscrets. Mais c’était oublier que les portes ne fermaient, ni en bas, ni en haut, la fumée s’échappait donc à l’extérieur, et les Surveillants surprenaient le coupable. C’était la colle pour le jeudi ou la suppression du tableau d’honneur, sous l’oeil attentif du Principal, qui observait tout cela derrière les vitres du bureau.
Un des grands moments dans la vie du collège, était la Distribution des Prix, cérémonie qui a totalement disparue de nos jours. Cette fête se préparait longtemps à l’avance, par de nombreux va et vient, avec la Librairie BOURG, intimement liée, du fait de son emplacement, à la vie du Collège, et donc à la nôtre.

Je voyaîs défiler avec émerveillement des piles de livres, tous plus séduisants les uns que les autres, et j’éprouvais une joie jumelée de fierté, lorsque mon Père m’autorisait à l’aider à préparer les piles de prix.

Le grand jour arrivait. Le Principal avait, auparavant, revêtu sa tenue de cérémonie : grande robe noire, ceinture jaune bordée d’hermine, rabat, toque. Dans la cour d’Honneur, attendait le corps, professoral au grand complet, tous également revêtus de la tenue d’apparat. Les scientifiques se différenciaient des littéraires ou des historiens, par la couleur des ceintures. Tous les élèves étaient là, dans leurs habits du dimanche, et dans une grande effervescence, tout le monde se dirigeait vers le théâtre.

Le discours d’usage était prononcé par un Professeur en gants blancs. Les choeurs du Collège interprétaient une oeuvre de Grand Compositeur. Je me souviens d’un magistral « DANUBE BLEU », orchestré avec maestria par Monsieur TINTURIER.
Puis suivait la lecture du palmarès, fastidueuse pour certains, mais combien douce aux oreilles des brillants élèves qui faisaient le va et vient entre la salle et l’estrade où les personnalités invitées se faisaient un plaisir de les récompenser. La cérémonie se terminait dans le brouhaha joyeux des adieux, à la veille de longues vacances d’été.
Mais voici venu le moment de fermer la botte à souvenirs.
Je me tourne vers vous, Chers Amis du Bureau, et je voudrais vous remercier de l’honneur que vous m’avez fait, en me désignant pour prononcer le discours d’usage cette année, devant vous.
MALRAUX disait :
« Se souvenir, c’est être capable de progrès, et il n’y a pas de progrès sans mémoire. »
Grâce à vous, en me souvenant de cette période d’adolescence que j’avais un peu oubliée, prise dans le tourbillon de la vie familiale et professionnelle, je pense avoir progressé en réflexion et maturité, sur le chemin de la vie.
J’ai éprouvé, ce soir, une grande joie et une profonde fierté, d’être là, parmi vous, au coeur de ce BOISCHAUT, où mon Père a choisi de reposer, dans ce cadre magnifique des Dryades, en compagnie de mon Mari qui connaît ma passion pour notre Collège, et qui partage mon attachement à LA CHATRE et à nos nombreux amis du BERRY.
C’est à vous, Cher Jean-Louis BONCOEUR, que je m’adresse maintenant, et je suis sûre d’être l’interprète de nous tous, en vous disant notre admiration et notre reconnaissance pour l’action que vous menez à la Présidence de L’AMICALE DES ANCIENS ELEVES DU COLLEGE ET DU LYCEE DE LA CHATRE. Cette Amicale, qui est une vieille dame de 82 ans, est de plus en plus dynamique et alerte grâce à vous, et aux quelques hommes et femmes qui vous entourent.
Le but de l’Amicale est de perpétuer, au-delà des bancs de l’école, une vraie fraternité entre ses membres.
Aussi, je lance un appel à vous tous, Chers Amis de ma promotion ou de promotions proches, qui êtes là ce soir et que je remercie du fond du coeur.

Merci tout particulièrement à toi, Claude, ma consoeur des folles équipées dans les couloirs du bahut, qui a travaillé toute l’année à renouer des contacts, pour réussir « L’Avis de recherche » de ce soir.
Cet appel, je le lance tout autant à vous, amis absents, mais qui allez lire le bulletin de liaison de l’Amicale.

Rejoignez-nous, venez aux réunions, et tous ensemble, assurons la relève, et oeuvrons pour une profonde solidarité, en renouant les liens du passé et en évoquant notre jeunesse, car ainsi que l’a dit ARAGON :
« Un beau soir, l’avenir s’appelle le passé, c’est alors qu’on se tourne et qu’on voit sa jeunesse. »

Merci de m’avoir écoutée, et bon appétit.

MH Bressolette-Roret – le 7 Juillet 1990

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